La parole est à vous
Alexia a 50 ans. Elle est née IMC (infirmité motrice cérébrale) à cause d’un accouchement particulièrement difficile. Brutalité de l’annonce de la part des médecins. Stupeur des parents… Immense solitude (ni association de parents, ni soutien d’aucune sorte….). Les parents découvriront peu à peu que leur petite fille ne peut pas marcher, et ne le pourra jamais, ne peut pas parler, et ne le pourra jamais, ne peut se servir de ses mains aux gestes saccadés, comme désarticulés, et donc ne pourra pas manger toute seule etc… etc…
Au fil des ans, les parents de la petite Alexia découvriront aussi qu’elle observe tout, comprend tout, est vive et tout à fait intelligente. Les médecins leur expliqueront que les zones du cerveau qui n’ont pas été irriguées lors de la naissance, et sont donc altérées – définitivement – concernent la motricité, mais nullement les capacités cognitives.
Vers 7 ans, Alexia est admise dans un Institut d’Éducation Motrice à Hyères. Là, elle découvre que d’autres enfants lui ressemblent, et que cela ne les empêche aucunement de rire, de faire les fous, et des colères, et des bêtises… Bref, d’être des enfants. Là, elle va faire, intensément, de la rééducation orthophonique, mais qui n’aura pas d’effet sur la parole, et de la kiné, beaucoup de kiné, mais les résultats seront si minces… Tout au plus pourra-t-elle avancer à reculons en poussant son fauteuil roulant avec ses pieds. Là aussi, là surtout, elle va apprendre à lire. Et à écrire. Écrire ? Écrire quand on ne peut pas se servir de ses mains ? Oui, parce qu’on peut mettre sur sa tête un casque un peu spécial, et, avec la tête, taper sur les touches du clavier d’une machine à écrire (plus tard, d’un ordinateur). Et c’est ainsi qu’elle va communiquer, lettre après lettre. (Et plus tard c’est ainsi qu’elle pourra piloter un fauteuil électrique).
A l’âge de 18 ans, Alexia n’a plus sa place dans cet institut, et elle arrive dans une « Maison d’Accueil Spécialisée » à Marseille.
Choc de se retrouver au milieu de personnes plus âgées qu’elle, aussi handicapées, voire davantage. Mais très vite elle comprend le fonctionnement de la maison, repère les personnes sur qui elle peut compter, et fait montre d’une étonnante soif de vivre. Et surtout, dans les activités proposées par l’établissement, elle découvre qu’elle peut dessiner avec sa tête (son casque), et peindre. Passion pour la peinture, sa voie vers une vraie reconnaissance sociale.
Rien n’échappe à l’étonnant regard d’Alexia, où l’on apprend vite à décrypter la malice, ou la désapprobation, ou la colère, ou l’enthousiasme. Un jour, le directeur passe devant elle, pressé (un directeur est toujours pressé….) et remarque qu’elle semble se moquer – gentiment – de lui. « Pourquoi, Alexia ? Qu’est-ce que j’ai fait ? » Et elle d’épeler sur son tableau : « On dirait un petit chien affolé qui court »… Alexia se fait des amies, des amis. Elle sait être séductrice… des histoires d’amour bien sûr… et bien des déchirements dus à la solitude affective…
Depuis toujours, Alexia avait des difficultés avec sa mâchoire supérieure, proéminente, vraiment inesthétique. Elle a entendu parler d’un hôpital de Marseille où une opération pourrait être pratiquée pour supprimer, ou réduire, ce désavantage physique. On l’avertit que ce sera long, et les suites douloureuses. Mais elle veut être opérée. C’est sa décision, qu’elle maintient farouchement devant ses parents qui ne comprennent pas, qui désapprouvent. Terribles mots de son père : « Mais, dans l’état où tu es, à quoi te servirait d’être belle ? » Alexia sera opérée. Et l’opération sera réussie.
Les années passent. Alexia réfléchit à son avenir. Certes, dans l’institution où elle est, elle est bien « prise en charge », comme on dit. Il y a de la vie, de l’ouverture dans cette institution, Alexia y a toute sa place ; elle y est reconnue, estimée. Mais….. « Y rester toute ma vie ? Toute ma vie dans un univers de handicapés ?… Moi, je veux vivre, vivre comme tout le monde…. »
Elle sait qu’il existe des appartements adaptés à un grand handicap moteur, avec un service de soins et d’aide (infirmières, auxiliaires de vie…), et une permanence qu’on peut appeler 7 jours sur 7, 24h sur 24. Elle va sur internet, se renseigne sur les démarches à faire, les aspects financiers… et pose sa candidature. Le personnel de l’institution est pris de court. Il est pourtant ouvert, attaché au respect de l’autonomie de chacun. Mais Alexia, avec son handicap massif, comment pourrait-elle faire pour vivre seule dans un appartement ? Inquiétude aussi, bien compréhensible, de sa famille. Mais, contre vents et marées elle maintient sa candidature, et un jour apprend qu’un appartement se libère, qu’elle peut venir…
Volonté farouche d’Alexia…. Il en faut pour se confronter aux regards étonnés, souvent apitoyés, des habitants de l’immeuble, des commerçants, pour arriver à s’en faire comprendre…, pour organiser le quotidien, ne pas oublier de payer à temps le loyer, pour faire face aux à-coups de santé et pour affronter les longues heures de solitude…
On imagine un peu les difficultés du chemin d’Alexia…
Mais elle est si belle, Alexia, quand elle écrit : « Je suis chez moi, heureuse d’être chez moi ».
Tant de fierté, alors, dans son regard.
Christian Biseau
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